jeudi 14 janvier 2021

ANALYSE MORPHO-LEXICOLOGIQUE DES DIALECTES AKYÉ DE CÔTE D’IVOIRE

 

ANALYSE MORPHO-LEXICOLOGIQUE DES DIALECTES AKYÉ DE CÔTE D’IVOIRE

ATSÉ N’Cho Jean-Baptiste

Département des Sciences du Langage et de la Communication

Université de Bouaké (Côte d’Ivoire)

Courriel : jbatse@yahoo.fr

 

 

Résumé : Le présent article met en évidence les trois dialectes (bodin, kétin et naindin) de l’akyé ; une langue de la grande famille linguistique Kwa de Côte d’Ivoire. L’étude consiste en une comparaison sur le plan morpho-lexicologique entre ces trois variétés parlées par des locuteurs ayant l’akyé comme langue maternelle dans trois localités différentes : Bécédi-Brignan pour le bodin, Afféry pour le kétin et Memni pour le naindin. S’appuyant sur un travail de terrain mené dans le cadre d’un mémoire de maîtrise en sociolinguistique entre 1998 et 1999 et réactualisé en 2020, la contribution a pour objectif de rendre compte du degré de variation de chaque dialecte et de montrer la spécificité de chacun de ces dialectes dans le grand groupe akyé. La démarche descriptive fondée sur une approche lexicostatistique s’inspire du modèle d’analyse proposé par W. E. Welmers (1958) et revu par R. W. Long (1971), R. Bole-Richard et S. Lafage (1983), D. Barreteau et H. Jungraithmayr (1993) et C. Grégoire et B. De Halleux (1994). Le corpus sur lequel reposent ces analyses est constitué de 513 items lexicaux. Il ressort de cette étude qu’il existe un fort degré d’intercompréhension entre les locuteurs de ces parlers, malgré quelques légères différences d’ordre morpho-lexicologique.

Mots-clés : Langue, dialecte, akyé, morpho-lexicologie, lexicostatistique.

 

 

Abstract : This article highlights the three dialects (Bodin, Ketin and Naindin) of Akyé ; a language of the large Kwa linguistic family of Côte d’Ivoire. The study consists in a comparison on the morpho-lexicological level between these three varieties spoken by speakers having Akyé as a mother tongue in three different localities : Bécédi-Brignan for bodin, Afféry for ketin and Memni for naindin. Based on fieldwork carried out as part of a master's thesis in sociolinguistics between 1998 and 1999 and updated in 2020, the contribution aims to report on the degree of variation of each dialect and to show the specificity of each of these dialects in the large Akyé group. The descriptive approach based on a lexicostatistic approach is inspired by the analysis model proposed by W. E. Welmers (1958) and reviewed by R. W. Long (1971), R. Bole-Richard and S. Lafage (1983), D. Barreteau et H. Jungraithmayr (1993) and C. Grégoire and B. De Halleux (1994). The corpus on which these analyzes are based consists of 513 lexical items. It emerges from this study that there is a high degree of intercomprehension between the speakers of these dialects, despite some slight differences of a morpho-lexicological nature.

Keywords : Language, dialect, akye, morpho-lexicology, lexicostatistics.

 

Introduction

La description des langues laisse entrevoir qu’elles ne sont pas toutes identiques sur les aires et les espaces où elles se parlent. C’est pourquoi, la sociolinguistique en tant que discipline scientifique étudie « la langue dans sa totalité avec sa dimension sociale et avec tout ce que cela comporte d’hétérogénéité à travers le temps, à travers l’espace, à travers les groupes sociaux ». Quand la langue, dans son usage, change d’un territoire à un autre ou d’une localité à une autre, « on dira, dans ce cas, que la langue connaît plusieurs dialectes, et toute description devra spécifier de quel dialecte il est question » (A. Martinet, 1970 : p. 30). 

Beaucoup de langues dans le monde dont l’akyé subissent ce même phénomène de dialectisation. En effet, l’akyé est une langue kwa de la grande famille Niger-Congo parlée exclusivement en Côte d’Ivoire. Cette langue, à travers ses dialectes, a fait l’objet de plusieurs descriptions linguistiques. Parmi ces écrits, nous pouvons citer O. Chaumeton (1975), A. Monin (1978), N. J.-B. Atsé (2000) et F. Ahoua et A. P. Brouh (2009) pour ce qui est de l’akyé bodin. Pour le dialecte kétin, nous avons seulement Anguié (1997) pour illustrer les données de notre travail. Enfin, pour l’akyé naindin, nous dénombrons les travaux de É. Hood et al. (1984), J. Cooper (1989), la Société biblique internationale (1995) et N. J. Kouadio (1996). Les travaux de N. J. Kouadio (1996) et de F. Ahoua et A. P. Brouh (2009) sont d’une grande importance pour les pratiques lexicologiques et lexicographiques.

Notre contribution est une étude comparative des différents dialectes akyé ; d’abord le bodin avec le kétin, ensuite le kétin avec le naindin et enfin, le naindin avec le bodin sur le plan morpho-lexicologique. Elle pose l’hypothèse des variétés de l’akyé tout en faisant ressortir les caractéristiques qui fondent ces dialectes. Dès lors, quels sont les traits qui marquent chaque dialecte ? Quelles sont les propriétés différentielles ? Mieux, n’y a-t-il pas des marques morpho-lexicologiques qui permettent de rapprocher et/ou de séparer ces dialectes ?

L’objectif principal de ce travail est de mettre en rapport les différents dialectes akyé en vue de rendre compte de ce qui fait leur spécificité et leur degré de différence et/ou de ressemblance dans les aires qu’ils occupent et en fonction de leurs usages par les locuteurs.

Sur le plan théorique, il s’inscrit dans le cadre global de la lexicologie, plus spécifiquement de la lexicostatistique. Pour ce faire, nous adoptons la démarche descriptive et comparative des monèmes attestés dans les différents dialectes akyé sur le plan morpho-lexicologique en mettant en rapport lesdits dialectes ; d’abord le bodin avec le kétin, ensuite le kétin avec le naindin et enfin, le naindin avec le bodin.

Inscrit dans une perspective sociolinguistique, notre travail est structuré de la manière suivante. D’abord, nous commencerons par la méthodologie mise en place pour aboutir à notre étude comparative (A. Meillet, 1970). Ensuite, nous ferons une brève présentation de la langue akyé et de ses dialectes dans la grande famille linguistique Kwa de Côte d’Ivoire. Nous aborderons enfin l’étude proprement dite par une analyse des dialectes sur le plan morpho-lexicologique.

1. Méthodologie et collecte des données

Le corpus sur lequel est fondée notre étude est constitué de 513 items lexicaux issus de nos travaux de 2000 que nous avons actualisés en 2020. Ces données sont généralement quelques mots simples et usuels collectés et classés par ordre alphabétique à partir de lexique français/akyé de certains auteurs cités (N. J. Kouadio, 1996 ; M. L. F. Anguié, 1997 ; F. Ahoua et A. P. Brouh, 2009). Pour la vérification de ces données, notre méthode d’enquête a été possible grâce au Questionnaire d’enquête linguistique de M. Houis[1] que nous avons soumis à nos informateurs. L’un des procédés que nous avons souvent utilisé a consisté en des entretiens réguliers et nombreux au cours desquels nous posions des questions spécifiques à d’autres locuteurs restés dans « leurs milieux naturels » pour des vérifications ou pour des informations complémentaires sur des données linguistiques et des faits grammaticaux. Nous avons ensuite procédé à la transcription de ces items lexicaux. Le système de notation et de transcription des données sur l’akyé est l’alphabet phonétique international (API).

2. La langue akyé et ses dialectes

Ce chapitre de notre travail présentera la langue akyé et ses dialectes dans la grande famille linguistique Kwa de Côte d’Ivoire.

2.1. L’akyé dans les langues kwa de Côte d’Ivoire

Plus connue sous l’exonyme attié, glottonyme retenu par l’administration ivoirienne et étrangère, l’akyé est, parmi les langues kwa parlées au Sud-Est de la Côte d’Ivoire, une des langues minoritaires classées comme un isolat. C’est une langue qui défie la plupart des analyses classiques par son système phonologique et grammatical, peu commun dans les langues Kwa connues à ce jour (R. Bole-Richard et S. Lafage, 1983). Son territoire commence près de la ville d’Abidjan et s’étend vers le nord d’Abidjan, la capitale administrative, sur 160 Km.

Dans les grandes familles linguistiques de la Côte d’Ivoire, l’akyé est classé dans le groupe des langues Kwa, de la grande famille Niger-Congo. G. Herault (1978) le situe plus précisément dans le groupe des langues lagunaires de Côte d’Ivoire, formant avec l’abbey, l’abidji, le krobou et l’adioukrou un sous-groupe parmi les langues lagunaires désigné par le terme de sous-groupe « intérieur », à l’opposé du sous-groupe « côtiers » avec les langues abouré, alladjan, avikam, ébrié, éga, éhotilé, mbatto et nzima. Les Akan avec les langues abron, agni et baoulé constituent l’autre groupe linguistique. Cela est schématisé de la manière suivante :

 


 

FAMILLE NIGER-CONGO

 

 


LANGUES KWA DE CÔTE D’IVOIRE

 

 

 


LAGUNAIRES                                           AKANS

 

 


INTÉRIEURS                         CÔTIERS

 

 


         Abb  Abi  Adi Ak  Kr     Abo  All  Av  Eb  Eg Eh Mb  Nz      Abr  Ag  Ba

 


Abb   =       abbey

Abi    =       abidji

Adi    =       adioukrou

Ak     =       akyé

Kr      =       krobou

Abo   =       abouré

All     =       alladjan

Av     =       avikam

Eb     =       ébrié

Eg      =       éga

Eh     =       éhotilé

Mb    =       mbatto

Nz     =       nzima (appolo)

Abr    =       abron

Ag     =       agni

Ba      =       baoulé


 

Selon les rapports du recensement général de la population de 2014, le nombre de locuteurs akyé est estimé à environ 380 000 personnes vivant sur un territoire dont la superficie est comprise entre 9 000 et 10 000 Km2. La population akyé, à l’image de C. Kutsch Lojenga et É. Hood (1982 : p. 227), se répartit en trois groupes que sont :

-         le groupe Nord dont la principale ville est Adzopé

-         le groupe Sud dont la principale ville est Anyama

-         le groupe Est dont la ville principal est Alépé.

Ces différents groupes présentent en leur sein des dialectes.

2.2. Les dialectes akyé

Le dialecte est la forme concrète que prend localement une langue. En effet, d’une localité à une autre ; d’une région à une autre ou même à l’intérieur de celles-ci, l’akyé est parlé différemment par les locuteurs. Ainsi, sur le plan dialectal, l’akyé présente trois variétés : le bodin, le kétin et le naindin.

2.2.1. Le bodin

Le bodin est le dialecte attesté au nord du pays akyé. Il est parlé dans tout le canton Tchoyasso, à l’exclusion des villages de Yakassé-Mé et d’Abié[2], avec une certaine originalité dans les villages d’Akoudzin et de Boudépé, mais déformé légèrement dans les cantons Attobrou et Annapun. Étymologiquement, bodin [bodɛ] (littéralement /roche/laper/) signifie « ceux qui ont lapé la roche, la pierre ». La variété du bodin choisie pour l’étude est l’akyé bodin tel qu’il est parlé à Bécédi-Brignan, village situé dans le canton Tchoyasso à environ 75 Km d’Abidjan et à 37 Km d’Adzopé.

2.2.2. Le kétin

Ce second dialecte appartient également au groupe Nord de l’ensemble akyé, mais parlé dans le canton Ketté dans les Sous-préfectures d’Afféry, Akoupé et Bécouefin avec les villages comme Asseudji, Bacon, Assangbadji, Yadio, etc. Il est attesté dans le canton N’kadzun avec les villages comme Ahouabo, Ananguié, Bouapé, Moapé, etc. D’un de nos informateurs, le mot « kétin » viendrait de « bù àkjé tɛ̰̄ ? ». Une phrase interrogative souvent posée par les peuples voisins aux locuteurs de ce dialecte akyé pour dire : « tu comprends akyé ? ». C’est cette phrase qui aurait été déformée, tronquée et qui serait devenue [kjé tɛ̰̄] (kētɛ̰̄). Pour l’étude, c’est le parler d’Afféry, ville située à environ 115 Km d’Abidjan et à 26 Km d’Adzopé qui a été choisi pour illustrer le dialecte kétin.

2.2.3. Le naindin

Ce dernier dialecte prête à confusion avec celui qui le parle et l’endroit où il est parlé. En effet, en tant que l’une des tribus de la Sous-Préfecture d’Anyama, les Naindin qui sont représentés par les habitants des villages d’Akoupé-Anyama, Attinguié, M’brago, M’pody, Adiakè, Adéromé sont opposés aux Gnan, autres populations akyé réparties dans les villages d’Anyama-Adjamé, Anyama-débarcadère et Ebimpé. Pour ce qui est de la langue, le naindin [nɛ̰̄dḭ̄] est le dialecte parlé par les Akyé du Sud et de l’Est dans les Sous-Préfectures d’Alépé et d’Anyama. Ces locuteurs du naindin ont à eux des parlers qui leur sont propres, à savoir :

- le gnan [ɲá̰] qui est parlé par les habitants de la Sous-préfecture d’Anyama et serait influencé par les Ébrié ;

- le lépin [lēpɛ̰̄], le parler servant d’instrument de communication aux villages de Grand-Alépé, de Montézo, de Memni et aux autochtones de la ville d’Alépé[3]. Il serait influencé aussi par les M’batto, leurs voisins immédiats. Ces deux parlers différents l’un de l’autre sont dérivés du dialecte naindin. La variété du naindin qui sert d’objet d’étude est le parler de Memni, un village situé dans le département d’Alépé, à 10 Km d’Alépé et à 40 Km d’Abidjan.

3. Analyse morpho-lexicologique

Nous consacrons cette partie de notre étude à la comparaison des unités lexicales des dialectes akyé et à leurs procédés de formation d’unités lexicales. La comparaison de 513 termes du vocabulaire courant recueillis dans les trois dialectes étudiés (akyé bodin pour AB ; akyé kétin pour AK et akyé naindin pour AN) permet de faire quelques remarques quant à leur degré de parenté. Mais bien avant, nous présenterons ci-dessous les quelques points pratiques sur lesquels s’appuieront nos analyses. Nous utiliserons par conséquent la méthode de classification lexicostatistique des langues mandé telle que proposée par W. E. Welmers (1958) et revu par R. W. Long (1971), R. Bole-Richard et S. Lafage (1983), D. Barreteau et H. Jungraithmayr (1993) et C. Grégoire et B. De Halleux (1994). Dans le cadre de notre étude, nous avons légèrement modifié cette méthode et l’avons rendue plus explicite.

3.1. Étude lexicostatistique

La méthode de classification lexicostatistique vise à définir le degré de parenté entre plusieurs langues. La première opération consiste à comparer deux listes d’items de deux langues différentes et à classer ces items en quatre (4) catégories qui sont. :

- Same : les items comparés sont totalement identiques dans leur forme phonétique.

- Cognate : les items sont apparentés sur la base d’une correspondance régulière des sons.

- Questionnable : les formes sont au moins ressemblantes, c’est-à-dire qu’elles sont apparentées, mais la règle caractéristique de correspondance des sons n’est pas claire.

- Negative : les items ne sont pas apparentés, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune règle pour caractériser les correspondances.

Ensuite, de ces quatre catégories, on calcule le pourcentage dans chacune des catégories. Ainsi, les langues ayant un très fort pourcentage d’items « Same » seront bien sûr très apparentées. Dans le cas contraire, un fort pourcentage d’items « Negative » sera l’indice d’un faible degré de parenté.

Mais pour plus de compréhension et de simplification, nous utiliserons les termes d’« unités identiques » pour « Same », d’« unités partiellement différentes » pour « Cognate » et « Questionnable » et d’« unités complètement différentes » pour « Negative ».

Dans cette pratique, c’est la forme des mots qui constitue l’élément fondamental d’appréciation. En d’autres termes, les unités d’un dialecte sont jugées « identiques » à celles d’un autre lorsque, pour un sens donné, les monèmes en question sont en totalité composés par les mêmes phonèmes, sans modification de la structure de l’unité significative, comme dans les exemples suivants :

AB              AK              AN             Significations

(1) [63] -     ŋ̀kā              ŋ̀kā              ŋ̀kā              « Canne à sucre »

(2) [209] -    wínɛ̰̄             wínɛ̰̄            wínɛ̰̄             « Génie de la forêt »

(3) [300] -    bāʦ̰            bāʦ̰            bāʦ̰            « Mangouste »

(4) [321] -    mâ̰               mâ̰               mâ̰               « Monde »

Ensuite des unités lexicales sont jugées « partiellement différentes » lorsque pour un sens donné, celles-ci sont en partie composées par les mêmes phonèmes ; la différence ne résidant qu’au niveau d’un seul ou de quelques phonèmes avec ou sans modification de la structure de l’unité significative, même avec des tons en partie ou totalement différents.

Exemples :

AB                        AK                       AN             Significations

(5) [5] -       bk̰                      bɔ̄k̰                     bk            « Aider »

(6) [15] -      fumṵ́dú                  òfùmṵ́nṵ́                ǹfṵ́mṵ́          « Âne »

(7) [77] -     màbwà                  bwàbwà                  ŋ̀̀gbàbwà       « Chaussure »

(8) [96] -      kṵ̄kɔ̄                      kwɛ̰̄kɔ̄                     kīkɔ̄             « Colère »

Enfin des monèmes d’un dialecte sont jugés complètement différents de ceux d’un autre, lorsque, pour un sens donné, les monèmes en question sont composés par des phonèmes totalement différents ou bien possédant en partie ou en totalité les mêmes phonèmes sans toutefois que l’intuition du locuteur d’un dialecte en fasse immédiatement le parallèle, même avec des tons identiques ou différents comme dans les items suivants :

AB                        AK                       AN             Significations

(9) [115] -    kútúkù                  kàkàbó                  ŋ̀gbōkú        « Cuisine »

(10) [220] - kɔ̀kwɛ́                    nā̰sɛ̀                      n̰n̰            « Grand-père »

(11) [244] -  kpūkɤ́                  ʧū                         àkɔ́lɔ́          « Hoquet »

(12) [365] - mɔ̰̀ɡwɤ́                  kɔ̀ʤ                    àbá̰dé           « Patate douce »

 

Ainsi, à partir de nos trois critères de différenciation lexicale, à savoir : les « unités identiques », les « unités partiellement différentes » et les « unités complètement différentes », le calcul des pourcentages dans chacune des catégories nous a permis d’établir les tableaux suivants :


 

Entre le bodin et le ketin

Unités

Identiques

Partiellement différentes

Complètement différentes

Nombre

149

212

152

Pourcentage

29,05%

41,32%

29,63%

 

Entre le kétin et le naindin

Unités

Identiques

Partiellement différentes

Complètement différentes

Nombre

109

218

186

Pourcentage

21,26%

42,49%

36,25%

 

Entre le naindin et le bodin

Unités

Identiques

Partiellement différentes

Complètement différentes

Nombre

173

216

124

Pourcentage

33,72%

42,10%

24,18%

 

L’observation de ces tableaux nous indique que le naindin et le bodin ont plus d’unités identiques avec un pourcentage de 33,72 % et moins d’unités complètement différentes (24,18 %). Ensuite vient l’opposition bodin / kétin avec 29,05 % d’unités identiques et 29,63% d’unités complètement différentes. Enfin, nous avons l’opposition kétin / naindin avec un faible pourcentage d’unités identiques (21,26 %) et un fort taux d’unités complètement différentes par rapport aux deux autres oppositions, soit 36,25 %.

Le problème ainsi posé, nous pouvons toute de suite affirmer que le bodin est le dialecte central qui se rapproche des deux autres au niveau lexical, bien qu’il soit plus proche du naindin que du kétin. Cela peut s’expliquer par le fait que, dans la classification du peuple akyé en différents cantons, les villages comme Yakassé­ Mé et Abié, même s’ils font partie du canton Tchoyasso, proviennent de leur migration du sud du pays akyé, plus précisément des villages de Brofodoumé, d’Atchékoi et d’Ahoué. Selon nos informateurs, ils ne parlent pas le même akyé que celui parlé par les autres villages de ce canton. Par ce contact de langues donc, Yakassé Mé et Abié, par leur parler, pourraient influencer les villages voisins dont Bécédi-Brignan (le village qui a servi de cadre d’étude au bodin). Aussi faut-il dire que le lépin (parler akyé de Grand-Alépé dont fait partie le village de Memni qui a servi de cadre d’étude au naindin) serait très proche du bodin tant du point de vue géographique que linguistique. Dès lors, le kétin qui est parlé dans le nord du pays akyé aurait subi l’influence des langues voisines telles que l’agni morofouê (le dialecte agni parlé à Bongouanou) et l’agni indénié (le dialecte agni parlé à Abengourou). Ainsi, son vocabulaire serait soit emprunté à ces peuples-là, soit, se fait beaucoup plus dans le registre familier.

Tous ces faits de différence et/ou de ressemblance entre les unités des dialectes en présence par le biais de la méthode de classification lexicostatistique seront illustrés par des exemples dans l’analyse qui suit.

3.2. Analyse des différences morphologiques entre les unités des parlers en présence

Cette partie du travail met en rapport sur le plan morpho-lexicologique les différents dialectes akyé ; d’abord le bodin avec le kétin, ensuite le kétin avec le naindin et enfin, le naindin avec le bodin.

3.2.1. Les différences morphologiques entre le bodin et le kétin

Sur 513 items, ces deux dialectes ont 152 mots complètement différents. Ce nombre qui donne un pourcentage de 29,63 % se fait aussi remarquer dans les mots usuels, les noms d’animaux et d’insectes, dans les verbes. Ainsi, dans ces mots, les termes que le kétin utilise pour illustrer le sens d’un mot signifient autre chose que le sens accordé à ce mot en bodin.

Exemples :

 

        Glose           AB            AK              Significations en AB

(13) [59] -  « Caillou »     má̰ŋkwɛ̄     bō                « Roche » / « Objet pour écraser »

(14) 118 -   « Cuvette »    kjɛ̰̂sḭ̇          kpɔ̰̀ŋgbó         « Assiette »

(15) [81] -   « Chenille »   àʧɔ̰́ʧɔ̰́        nɔ̰̄kwɛ̰̂            « Insecte »

(16) [112] - « Crocodile » àlébò        sōɡbɔ̰̀              « Caïman »

(17) [150] - « Écureuil »   kû             àlùʧi̇               « Écureuil volant »

(18) [274] - « Lézard »      ànṵ̀mé        àtɔ̀                  « Margouillat »

(19) [189] - « Fleurir »      ŋ̀kófû        pɔ̰́pwɛ́             « Nouveau »

(20) [335] - « Natter »      dṵ̄             ŋwɛ̰́             « Tresser les cheveux »

(21) [182] - « Fermer »     k̰ /       fj́ɛ̰́                   « Ouvrir »

Pour le dernier terme en (21), en ce qui concerne le verbe « fermer », il y a des nuances pour le locuteur bodin, auxquelles le Kétin apporte les précisions suivantes : ainsi pour dire « ferme la porte ! », le Kétin dira [fjɛ̰̀ mḭ̇́mḭ̇́] (pour [ouvrir + porte] en bodin) alors que le bodin dira [k̰ s̰mḭ̇] ou [dà sṵ̀mḭ̇] [fermer + maison + bouche]. Or le locuteur kétin emploie le verbe [dà] pour « fermer » tout ce qui se rapporte au corps humain. Par exemple, « ferme ta bouche ! » et « rabats tes jambes ! » se traduiront respectivement par [dà bú mɛ̰́] et [dà b kpá̰].

Toujours dans le cadre de la précision, au moment où le bodin emploie [s̰mí] pour « la porte » ; le kétin utilise plutôt [mḭ̇́mḭ̇́]. Pour ce qui est de la traduction littérale ou mot-à-mot, [s̰mḭ̇́] veut dire « maison / bouche » ou plus précisément « bouche de maison » or [mḭ̇́mḭ̇́] ne veut rien traduire littéralement en kétin. Pour le kétin, [s̰mḭ̇́] que le bodin emploie pour désigner « porte » signifie « le cadre de la porte » ou encore « l’ouverture faite pour entrer dans une maison ». Aussi, là où il y a encore quelques nuances, c’est au niveau du terme pour désigner le serpent « mamba vert ». Quand le bodin emploie [àkɛ̀nɔ̀], le kétin quant à lui dit [àkɛ̀bí]. Pour les locuteurs du kétin, [àkɛ̀nɔ̰̀] représente le mamba jaune et [àkɛ̀bí] en plus d’être appelé « mamba vert » il désigne le « serpent noir » ; ce que le bodin semble ignorer pour [wó b] « serpent noir ».

Ce même problème se pose avec les termes de « Chauve-souris » et de « Roussette ». Pour désigner la grande « chauve-souris », l’akyé bodin et l’akyé kétin utilisent respectivement [àkpànɛ̰́] et [àkpànḭ̇́], ce qui est juste même s’il y a une petite différence phonologique au niveau des voyelles finales. Pour ce qui est de la « petite chauve-souris », c’est-à-dire celle qui vit dans les toitures des maisons, le bodin la désigne par [bòtṵ́ fá] et le kétin par [àfá] ; ce qui est compréhensible même si du côté du kétin ce mot a subi une troncation suivie d’un ajout de morphème. Mais en ce qui concerne la « roussette », c’est-à-dire celle qui vit dans les arbres (les palmiers en général) et dont on se nourrit, le bodin emploie [àhjā̰] alors que le kétin utilise toujours [àkpànḭ̇́]. Donc ce qui pourrait dire qu’il n’y a pas de différence entre la grande chauve-souris et la roussette chez le locuteur kétin.

Enfin entre le bodin et le kétin, il y a des mots spécifiques que ces dialectes utilisent sans que l’intuition des locuteurs détecte ce que ces mots veulent dire. Ce sont :

AB                                 AK                       Significations

(22) [29] -    bɤ́sɤ́                                kàpjéʃī / pīsā            « Balai »

(23) [31] -    ŋ̀gbàgbà                          àkàsàtú                  « Bambou de Chine »

(24) [115] -  kútúkù / ʧɛ̰́s̰                  kàkàb                  « Cuisine »

(25) [358] - ŋwʌ̰́sɛ̰̄                             ʧōtɛ̂                      « Papillon »

(26) [373] - ʦkp̰                             kpàkprì              « Perdrix »

(27) [380] - ɲ̰                               bùt                   « Pigeon domestique »

(28) [411] - ḿmó                               ójɛ̄                        « Quartier »

 


 

3.2.2. Les différences morphologiques entre le kétin et le naindin

Entre ces deux dialectes, les unités complètement différentes sont les plus nombreuses. Elles sont au nombre de 186 sur 513 items pour un pourcentage de 36,25 %. Ces unités concernent le plus souvent les mots usuels, les noms d’animaux et quelques verbes. Ici, les différences morphologiques se situent dans la formation du mot même. Pour ces mots, le kétin utilise le procédé de composition qui consiste à assembler deux ou plusieurs unités de sens différents pour former une unité indépendante répondant à un objet unique dans la pensée. Ce qui nous fait dire que le vocabulaire du kétin est tiré du registre familier (peut-être que cela est dû aux idiolectes de nos informateurs dans le cadre de nos recherches sur le kétin). En revanche, le vocabulaire du naindin provient le plus souvent du registre courant.

Ainsi, pour des mots comme « asthme », « avare (être) », « ceinture », « ergot », « singe », etc., au moment où le kétin utilise la composition pour leur formation, le naindin leur accorde une formation spécifique.

Exemples :

AK                                 AN                       Significations

(29) [23] -    hɛ̰̄fṵ́ʦɔ̰́                            àff̰                     « Asthme »

         /toux/haut/tousser/

(30) [26] -    ʃíkālájɛ̀                            kpìkpɛ̀                  « Avare (être) »

                   /argent/aimer/

(31) [67] -    bábà kɛ̀                           ǹkpèbà̰ / ŋɔ̰̂bjè       « Ceinture »

              /enrouler/ chose/

(32) [168] - kwā̰ wɛ̀t́iká̰                      ʃḭtè                       « Ergot »

          /poulet/pied/petit/derrière/

(33) [455] - kàfṵ́nā̰nā̰                         ʧɔ̰̀                     « Singe »

            /en- haut/ animal/

En ce qui concerne les noms d’animaux et d’insectes, la morphologie du mot diffère d’un parler à un autre, ou d’un dialecte à un autre :

 

AK                                 AN                       Significations

(34) [19] -    piʃɛ́kɛ́                           ʃékɔ̀tɔ̀                  « Araignée »

(35) [455] - kàfṵ́nā̰nā̰                         ʧɔ̰̀                         « Singe »

(36) [195] -  ʧî                                   tɛ́́                          « Fourmi »

(37) [76] -    àmíndô                            àwɔ́                       « Chat »

Pour les trois premiers mots dans les exemples 34, 35 et 36, les significations accordées par le dialecte kétin peuvent causer des confusions de sens chez des locuteurs naindin et bodin, car [àpiʃɛkɛ], [fṵnā̰nā̰] et [ʧî] signifient respectivement « cafard », « toute sorte d’animaux se déplaçant en- haut ou sur un arbre » et « fourmi magnan ». Il en est de même pour des verbes où le dialecte kétin utilise des termes qui peuvent aussi, dans certains cas, susciter des confusions de sens chez le locuteur naindin, parce que dans ce dialecte, ces termes utilisés par le kétin ont d’autres significations. Ce sont :

AK                                 AN                       Significations

(38) [22] -    lɔ̄ɡbú                              ʧ                         « Arracher »

(39) [39] -    sákài                              tṵ̀ɲɛ̰̂                      « Bénir »

(40) [106] -  kɛ̀dɔ̀lɔ̄fú                         ɡbṵ̂                       « Couler »

(41) [223] - k                                                           « Grandir »

(42) [324] - kūmʌ̰́fj́â̰                          mṵ̄                        « Moquer (se) »

En naindin comme en bodin, [lɔ̄gbú] veut dire « tirer » ; [skàj́i] veut dire « prier » ; [kɛ̀dɔ̀lɔ̄fú] signifie « le fait de verser quelque chose » ; [k] signifie « vieillir » et [kūmʌ̰́fj́â̰] veut dire « provoquer » dans les sens de « agacer » ou encore « énerver » quelqu’un.

3.2.3. Les différences morphologiques entre le naindin et le bodin

Ces deux dialectes ont moins d’unités complètement différentes, c’est-à-dire un total de 124 sur 513 items pour un pourcentage de 24,18%. Ici, les différences morphologiques se situent dans le fait que les items ne sont apparentés sur la base d’une correspondance régulière des sons.  Ce sont des mots, comme dans les oppositions précédentes qui, lorsqu’ils sont émis dans l’art de communication dans un dialecte, renvoient à d’autres référents dans l’autre.

Exemples :

Glose            AB              AN                  Significations en AB

(43) [12] -    « Albinos »       fí́                   ɡjɛ̀jā                 « Rouquin »

(44) [182] - « Fermer »        k̰ /          fj́ɛ̰́                   « Ouvrir »

(45) [185] -  « Feuille »        b                pɛ́                 « Herbe »

(46) [202] - « Fumée »         ʧkwʌ̰́          tsṵ̄kɔ̄                « Cendres »

(47) [238] - « Hernie »        hé                 jì                        « Dartre »

(48) [390 -   « Plomb »        ʃúm̰             ʣɔ̄                   « Poudre à canon »

Par ailleurs, certains mots sont propres aux parlers de ces dialectes. Ces mots peuvent différer d’un dialecte à un autre et leurs sens ne peuvent être compris au cours d’un dialogue que dans des contextes bien précis des idées que les locuteurs émettent. En d’autres termes, c’est l’idée que le locuteur d’un dialecte (akyé naindin ou akyé bodin) développe à travers ces mots qui renvoie à ce que celui-ci veut dire. Ce sont :

AN                                AB                        Significations

(49) [20] -    à ɲā̰lē                               ŋ̰ɡdí                  « Arc-en-ciel »

(50) [258] - hḭ́ʤwā                            dḭ́                          « Jumeau »

(51) [354] -  ŋ̀ɡbì                          kōkōʤâ                « Panaris »

(52) [365] - àb̰                              mɔ̰̀ɡwɤ̄                  « Patate douce »

(53) [452] - tólī                                 ɡbâ                    « Serviette »

3.3. Analyse des procédés de créations lexicologiques

En akyé, la formation des mots est de plus en plus perceptible. Dans ses dialectes, il existe les procédés formels de création lexicale les plus courants que sont la dérivation, la composition et la réduplication de mots ou de syllabes.

3.3.1. La dérivation

La dérivation est un procédé de formation de mots nouveaux par ajout d’affixes à un mot appelé base. Quand l’élément de formation (le morphème dérivationnel) est postposé au mot (racine, base ou radical), on parle de suffixation. En revanche, il y a préfixation quand l’élément de formation précède le radical. Tous ces deux procédés de formation apparaissent dans les trois dialectes akyé.

·     La suffixation

Notre corpus nous a permis de relever les cas suivants :

AB                        AK                       AN             Significations

(54) [110] -  kpūkɔ̀sɛ̰̄                 kpūkɔ̄sɛ̄                 kòtèbòsɛ̰̄      « Crieur public »

(55) [159] - bìtjɔ̄                     bìtjɔ́                      bìkwɔ̄          « Enfant (petit) »

(56) [161] -  ʧūkpʌ̄sɛ̰̄                kpɔ́́sà                     ʧūkpœ̰̄sɛ̰̄       « Ennemi »

Dans les exemples 54 et 56 des mots [110] et [161], le morphème sɛ̰̄ postposé au lexème verbal permet de former des noms d’agent. Il sert généralement de suffixe au bodin et au naindin pour former des mots nouveaux. Le kétin, quant à lui, emploie les suffixes sɛ̄ et sà, signifiant tous deux « homme » ou « mâle ». À la différence des dialectes bodin et naindin, les voyelles de ces morphèmes ne sont pas nasales, puisqu’ils ont subi une déformation en kétin.

Exemple :

AK           AB et AN             Significations

(57)                  sɛ̄                       sɛ̰̄                   « Homme (vs Femme) »

(58)                  sà                         ʦā                  « Homme (Être humain) »

Pour ce qui est de l’exemple (55), il s’agit d’un suffixe dimunitif. Les morphèmes tjɔ̄ en bodin, tjɔ́ en kétin ou encore kwɔ̄ en naindin signifiant tous « petit » et postposé au mot [bì] « enfant » donne une idée de petitesse, d’où de « petit enfant ». Quant à l’exemple (58), il s’agit d’une opposition consonantique entre la consonne fricative alvéolaire sourde /s/ en kétin et la consonne affriquée alvéolaire sourde /ʦ/ en bodin et naindin.

·        La préfixation

Le seul préfixe identifié dans notre corpus varie selon les dialectes. Les trois variétés de l’akyé utilisent le morphème [kà] « chose » ou « quelque chose » comme préfixe qu’ils ajoutent à un mot pour obtenir, soit un substantif, soit un verbe. Ce même morphème peut devenir [kɛ̀] « chose » selon les circonstances. Pour le kétin, par exemple, le plus souvent c’est [kɛ̀] qui est utilisé. Il est très usuel dans le vocabulaire kétin. Dans ce dialecte, ce morphème se comporte comme une modalité verbale.

Exemples :

AB                        AK                       AN             Significations

(59) [134] -  ʣé                    ʣékɛ̀                     ʣé              « Donner »

(60) [156] - kàpʌ̄                     kàpœ̰̄                     kɛ̀pʌ̀           « Emprunt »

(61) [162] -  kàkʌ̄                     kœ̂                        kàkʌ̄            « Enseigner »

(62) [344] -  kàhà̰                      kàhā̰                      kɛ̀ʣé           « Offrir »

(63) [377] -  -                           -                           kɛ̀w           « Pétrir »

(64) [401] -  -                           -                           kɛ̀pɔ̰́            « Pourrir »

3.3.2. La composition

Dans les trois dialectes akyés, ce procédé existe et est utilisé pour former des mots composés comme les noms et les verbes. Ces mots s’obtiennent par la combinaison soit de deux noms, soit d’un nom et d’un verbe, soit d’un verbe et d’un nom, soit enfin d’un nom et d’un adverbe, selon notre corpus d’étude.

·        Nom + Nom

Ici on a la juxtaposition dans l’ordre déterminant déterminé de deux unités ayant chacun le statut de substantif. En voici quelques exemples :

 

AB                        AK                       AN             Significations

(65) [84] -    hw̰pṵ̄                   hwɛ̰́pū                    hw̰pœ̰̄         « Cheveu »

             /tête/+/poil/      /tête/+/poil/        /tête/+/poil/

(66) [317] - ŋwɔ̰̀sɤ́                    ŋwɔ̰̀sɤ́                    ŋɔ̰̀sœ̰́          « Miel »

           /abeille/+/eau/      /abeille/+/eau/     /abeille/+/eau/

(67) [456] -  sɤ́kw̰                 sɤ́kwɛ̰̀                sœ̰́kw̰         « Soif »

         /eau/+/faim/           /eau/+/faim/      /eau/+/faim/

(68) [481] -  sṵ̄ɲ̰                       ʃṵ̄ɲ̰                      sœ̰̄ŋ̰           « Toilettes (WC) »

      /excréments/+/trou/  /excréments/+/trou/   /excréments/+/trou/

·        Nom + Verbe

Cette structure comprend un substantif antéposé au lexème verbal ; ce qui donne une structure de déterminant-déterminé pour former des verbes en akyé.

AB                   AK                 AN            Significations

(69) [122] -  ǹdàbjé               ǹnàbjé           nṵ́bjé        « Demander les nouvelles »

    /nouvelle/+/demander/ /nouvelle/+/demander/ /derrière/+/demander/

(70) [164] - ʣākō                kpʌ̰̄kō              ʣākō     « Envoûter (Ensorceler) »

      /médicament/+/lancer/  /sorcellerie/+/lancer/  /médicament/+/lancer/

(71) [217] -  n̰              nṵ́dà              nœ̰́       « Goûter »

            /langue/+/coller/         /langue/+/coller/     /langue/+/coller/

(72) [253] -  mḭ̇́kpʌ̄               mɛ̰́kpʌ̄             mḭ̇́kpœ̰̂     « Jeûner »

       /bouche/+/accrocher/   /bouche/+/accrocher/   /bouche/+/accrocher/

·        Verbe + Nom

Dans cette catégorie de mots, le lexème verbal en fonction de déterminant précède le substantif en fonction de déterminé.

AB                      AK                   AN           Significations

(73) [10] et [500] - fʌ̀sɤ́                    fʌ̀sɤ́                  fœ̀sœ̰́         « Air » ; « Vent »

                        /voler/+/eau/   /voler/+/eau/   /voler/+/eau/


 

·     Nom + Adverbe

Notre corpus présente un seul exemple :

AB                      AK                   AN           Significations

(74) [87] -              ʣɤ̀fṵ́                   zɤ̀fɔ̰́                  dzø̀fṵ̀        « Ciel »

                          /Dieu/+/en-haut/          /Dieu/+/en-haut/   /Dieu/+/en-haut/

3.3.3. La réduplication de mots ou de syllabes

La réduplication de mots ou de syllabes est un procédé de formation de mots qui permet la répétition d’un ou plusieurs éléments d’un mot ou d’un mot tout entier. Pour ces trois dialectes, notre corpus nous a permis de relever trois en bodin, quatre en naindin et six en kétin. La plupart de ces exemples correspondent à la formation de verbe, d’adverbe, d’adjectif et de nom. Ce sont :

AB                AK              AN             Significations

(75) [407] - nʌ̰̄nʌ̰̄              -                  -                « Promener (se) »

(76) [52] -    -                    fítáfítá         -                 « Briller »

(77) [136] - bɛ̀tɛ̀bɛ̀tɛ̀         bɛ̀dɛ̀bɛ̀dɛ̀     blɛ̀blɛ̀        « Doucement » / « Lentement »

(78) [212] -  -                    pɔ̀tɔ̀pɔ̀tɔ̀        -                 « Gluant »

(79) [276[4]] - -                    fwɛ̰̄fwɛ̰̄          fwḭ̄fwḭ̄       « Lime »

(80) [280] -  -                     -                 mlɛ̰̀mlɛ̰̀      « Lisse »

(81) [479] -  kpùkpúkpùkpú  kpòkpíkpòkpí  kpòkúkpòkpú « Thon »

(82) [495] - -                    fútúfútú         -               « Troubler »

3.3.4. Emprunts ou mots communs ?

Il n’est pas facile d’affirmer qu’une langue ivoirienne emprunte à une autre langue ivoirienne quand on sait que ces langues sont regroupées en différentes familles linguistiques par le lien de parenté. Mais l’on peut reconnaître qu’une langue emprunte à une autre langue quand le mot emprunté n’a pas de sens originel ou étymologique dans la langue emprunteuse. En Côte d’Ivoire, l’on retrouve le plus souvent les mots d’une langue dans d’autres langues qui ont le même sens avec la même prononciation ou avec une légère déformation phonologique et/ou morphologique. En akyé, des études sur les emprunts ont été faites (G. Yapi, 2001 ; G. N’Cho, 2006). Ces études ont prouvé que des mots du lexique akyé proviennent, d’une part, de certaines langues indo-européennes et se rapprochent, d’autre part, de certains mots dans d’autres langues ivoiriennes plus proches géographiquement comme linguistiquement. Ainsi, en bodin, en kétin comme en naindin, des mots de même signification sont communs à des langues voisines de l’akyé. Dans ce cas, pouvons-nous parler d’emprunts à ces langues ou de mots communs ?

Comme le remarque L. Duponchel (1970 : p. 47),  

« Malheureusement peu de langues de Côte d’Ivoire ont été étudiées à ce jour, et en outre, lorsqu’on se trouve en présence d’un mot pour distinguer une même chose dans deux ou plusieurs langues géographiquement voisines, il est impossible de savoir quelle est la langue qui a emprunté à l’autre (...). Il faudrait donc des dictionnaires avec datations précises pour savoir d’où proviennent par exemple /saka/ = le riz ; /kpangô/ = le cheval ; /laka/ = la valise ou le cercueil (...) ; /kojê/ = la pintade ; /frimu/ = un âne ; (...) et tant d’autres mots communs à plusieurs langues de Côte d’Ivoire ».

En effet, N. J. Kouadio (1996 : p. 9) dans ses recherches a fait des statistiques et a trouvé que l’akyé (les dialectes akyé) présente quelques ressemblances avec certaines langues du groupe kwa. Ce sont :

-         avec l’abbey : 23,80%

-         avec l’abouré : 19,40%

-         avec le krobou : 19,90%

-         avec l’agni : 17%

-         avec le m’batto : 17,70%

Pour notre corpus, les quelques mots que les dialectes akyé ont empruntés à d’autres langues sont utilisés parfois avec leur sens initial ou d’origine (celui de la langue source). Ces emprunts s’intègrent dans le système de la langue emprunteuse (AB, AK et AN) ou parfois avec quelques déformations tonales ou ajout de phonèmes. C’est le cas dans les exemples de mots suivants :

        Glose            AB       AK           AN        Langue empruntée

(83) [92] - « Cochon »     ɡbókò     kpākō        ɡbókò      du portugais porco « Cochon »

(84) [287] - « Machette » bèsé        bèsé          dūɡbà      du malinké bèsé « Machette »

(85) [351] - « Pain »         kpá̰ṵ̀       kpā̰ŋwṵ̀     kpá̰ŋṵ̀      du portugais pão [pɐ̰w] « Pain »

(86) [450] - « Seau »       bókìtì     (àdûʃó)     kpókìʤ de l’anglais bucket [bʌkit] « seau »  

(87) [452] - « Semaine »  (lʌ̄ʦɛ̰̄)    dìmà̰sà̰    (lœ̰̄ʦɛ̰̄)     du français « dimanche »

À ces différents mots considérés comme des emprunts, s’ajoutent d’autres mots comme ʃúm̰ « plomb » de lexemple (48) en akyé bodin et de tólī « serviette » de lexemple (53) en akyé kétin qui ont été empruntés respectivement au portugais « ozum » et à l’anglais « towel » pour désigner les mêmes termes, selon l’étude de K. É. N’gatta (2014) sur la langue abouré.

Conclusion

Notre objectif dans le cadre de ce travail était de rendre compte du degré de variation de chaque dialecte akyé dans une étude comparative en les mettant en rapport les uns avec les autres sur le plan morpho-lexicologique. Pour ce faire, nous avons utilisé la méthode de classification lexicostatistique pour mener à bien notre analyse. Ainsi, l’étude comparative nous a révélé qu’il existe un fort degré d’intercompréhension entre les dialectes bodin, kétin et naindin, mais laisse entrevoir des ressemblances et quelques différences portées sur un corpus de 513 items répartis dans les trois dialectes. L’étude nous a montré que le bodin se rapproche plus du naindin que du kétin au niveau du lexique (vocabulaire). Le dialecte kétin qu’on dit être très proche du bodin serait surtout marqué par une forte influence des parlers agni voisins (agni-indénié et agni-moroufouê) et par un vocabulaire très familier basé sur la composition. En revanche, le vocabulaire du naindin et celui du bodin proviennent le plus souvent du registre courant. Également, l’on retrouve dans les trois dialectes des emprunts à quelques langues ivoiriennes et indo-européennes. Ensuite, pour ce qui est des procédés de formation d’unités lexicales, ils sont les mêmes pour les trois dialectes, à savoir : la dérivation, la composition et la réduplication de mots et de syllabes. Le kétin utilise beaucoup plus ces deux derniers procédés pour étendre son lexique. Enfin, il est donc clair qu’il existe beaucoup plus de ressemblances que de différences au niveau morpho-lexicologique lorsqu’on oppose ces trois différents dialectes.

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Société biblique internationale (en collaboration avec l’Association ivoirienne pour la traduction de la Bible) 1995. Le Nouveau Testament en akyé (naindin), Première édition.

Welmers, W. E. 1958. The Mande Languages, Monograph Series on Languages and Linguistics 11, Washington, pp. 9-24.

Yapi, G. G. E. 2001. Emprunts de l’akyé aux langues européennes : cas de l’akyé de Memni, Mémoire de maîtrise, Université de Cocody, Abidjan.



[1] ILA, document inédit et non daté.

[2] Au cours de nos enquêtes, l’un de nos informateurs nous a signifié que les ressortissants de Yakassé-Mé et d’Abié viennent pour la plupart du Sud du pays akyé, plus précisément d’Anyama. Ils appartiennent au même groupe que les habitants de Brofodoumé, d’Atchékoi et d’Ahoué. Leur parler est à cheval entre le bodin et le gnan, un parler dérivé du naindin qui est parlé à Anyama.

[3] Cité par Y. J. Bogny (1988) Le système tonal de l’akyé, parler lépin de Grand-Alépé, Rapport de DEA, FLASH, Département de Linguistique, Université nationale de Côte d’Ivoire, p. 5.

[4] Les exemples issus des mots en [276] en akyé kétin et en akyé naindin sont plutôt des mots issus d’une formation par onomatopée que d’une formation par réduplication de syllabes.

 

Pour citer cet article :  

ATSÉ N’Cho Jean-Baptiste, « Analyse morpho-lexicologique des dialectes akyé de Côte d’Ivoire », Revue des Sciences du Langage et de la Communication (ReSciLaC) N°12, Vol. 1, 2ème semestre Décembre 2020, Revue Pluridisciplinaire du Laboratoire de Sociolinguistique, Dynamique des Langues et Recherche en Yoruba (LASODYLA-REYO), Université d’Abomey-Calavi, Bénin, pp. 15-32. ISSN : 1840-8001.

 

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