jeudi 5 janvier 2012

Approche anthropologique de la loucherie en pays akyé (Côte d'Ivoire)

APPROCHE ANTHROPOLOGIQUE DE LA LOUCHERIE EN PAYS AKYE (COTE D’IVOIRE)
K.V. KOFFI*, F.X. KOUASSI*, A.C. KOUASSI*, M. ADIKO*, K. OGNI**, A.C. KOUASSI*, C.T. KEITA*
* Service d’ophtalmologie CHU de Cocody - Abidjan - Côte d’Ivoire.
** Département de Sociologie - Faculté des lettres Arts et Sciences
Humaines - Université de Cocody - Abidjan - Côte d’Ivoire.
Médecine d'Afrique Noire : 2001, 48 (1), pp. 15-17



* Service d’ophtalmologie CHU de Cocody - Abidjan - Côte d’Ivoire.
** Département de Sociologie - Faculté des lettres Arts et Sciences Humaines - Université de Cocody - Abidjan - Côte d’Ivoire.


RESUME
La loucherie ou strabisme est un défaut du parallélisme des axes visuels qui se traduit par la déviation de l’un ou des deux yeux. Cette déviation peut alérer le regard ou au contraire susciter un charme dans celui-ci.
En Côte-d’Ivoire, le strabisme se vit diversement suivant les sociétés et donc les cultures. Dans la société akyé, la loucherie appelée «Hintchan « est jugée inesthétique. Pour en appréhender les interprétations culturelles dans ce groupe ethnique, nous avons mené des enquêtes auprès des féticheurs, des guérisseurs, des charlatans, des personnes âgées et des jeunes. Il ressort
que chez les Akyé les causes de strabisme sont :
- Les transgressions d’interdits sociaux,
- La mors u re de la mère par un serpent eu début de grossesse,
- Le contact du liquide amniotique avec les yeux du nouveau-né,
- Les mauvaises postures de la femme enceinte : décubitus dorsal,
- La naissance une nuit de pleine lune.
La loucherie ne se traite donc pas, on vit et l’on meurt avec elle selon les conceptions traditionnelles Akyé.
Mots-clés : Loucherie, strabisme, Akyé, anthropologie.
ABSTRACT
Anthropological approach of squinting in Akye region (Ivory Coast) Squinting is default of the parallelism of the visual axis that brings about the deviation of one or both eyes. This deviation, also caffed strabismus, can alter the view or on the contrary provide it with a form of beauty. In Ivory Coast, strabismus is viewed difforently according to the type of society or culture. In the Akye society, squinting called «Hintchan» is considered ugly. To collect the cultural interp re t ations in the Akye ethnie


INTRODUCTION
La loucherie est un défaut du parallélisme des axes visuels qui se traduit par la déviation de l’un ou des deux yeux.
Cette déviation des axes visuels peut altérer le regard ou au contraire susciter un charme dans celui-ci. En Côte d’Ivoire, le strabisme se vit dive rsement suivant les sociétés, le visage ayant un statut variable selon les culture.Par exemple, dans la société Wè, la loucherie que l’on peut nommer « ylikli» (yeux penchés) est un atout de ch a rme pour la beauté surtout de la femme. Une femme qui louche est très appréciée. Les « yeux penchés « sont également appelés :
« yeux d’amour». Dans la société Akyé, la loucherie, « hintchan» est jugée inesthétique. Elle est, considérée comme une maladie et elle va perturber l’univers relationnel du malade et dégrader son image sociale parce que le loucheur va subir les railleries de son entourage. Ainsi dans ce travail, nous essaierons de faire ressortir les différentes représentations culturelles de la loucherie en pays Akyé et leur incidence sociale.
CADRE GEOGRAPHIQUE ET SOCIOLOGIQUE
Le pays Akyé est situé au sud-est de la côte d’Ivoire. Il couvre 8.180 kilomètres carrés pour une population de 410.877 habitants. La densité brute est de 47 hab i t a n t s /km2 avec un taux d’urbanisation de 50 % en moyenne (1).
La société Akyé offre un paysage en pleine mutation. Les villages, sont lotis et reconstruits en ciment dans un plan d’ensemble en damier avec des rues se recoupant en angles droits, des monuments religieux et funéraires. C’est l’une des régions de la Côte d’Ivoire où la scolarisation est très élevée, se traduisant par un nombre important d’écoles. Le taux de scolarisation était de 90 % aprèsles indépendances (1). De nos jours, avec la crise économique, ce taux a baissé aux environs de 60 % (2).
Pour mieux appréhender les interprétations culturelles de la loucherie chez les Akyé, nous avons interrogé des féticheurs, des personnes âgées et des jeunes gens dont les expériences nous ont apporté les informations nécessaires à cette étude.
LES CAUSES DE LA LOUCHERIE EN PAYS AKYE
Dans la société Akyé comme dans toutes les sociétés traditionnelles africaines, les notions de santé et de maladie sont plus liées aux désor-dres sociaux qu’aux déséquilibres biologiques et aux atteintes physiques. La santé découle de l’ordre harmo-nieux du cosmos et de la société. La maladie s’inscrit dans les catégories du mal et du désordre social.
Les Akyés ont une conception surnaturelle de la loucherie avec une approche thérapeutique qui en découle. Ainsi, les différentes causes de strabisme que nous avons pu recenser sont les suivantes :
1 - Les transgressions d’interdits sociaux Les transgressions d’interdits sociaux peuvent engendrer la loucherie comme punition ou châtiment du sacré, le sacré regroupant Dieu, les génies, les ancêtres, les défunts,
- une femme enceinte ayant des rapports adultéres pourrait donner naissance à un enfant frappé de loucherie, l’adultère étant considéré comme une faute très grave pendant la grossesse. L’infirmité du nouveau-né peut être plus accentuée et intéresser d’autres parties du corps en dehors des yeux, les membres par exemple. Les Akyés pratiquent l’infanticide pour ce genre d’enfants qui sont selon eux, l’incarn ation de génies. Le mélange incompatible du sang du père à celui de l’amant serait à l’origine de ces manifestations.
- une femme qui ne respecte pas le tabou qui interdit les rapports sexuels en période menstruelle pourrait également donner naissance à un enfant porteur d’un strabisme. Cet enfant étant issu d’une mère impure.
2 - La morsure de la mère par un serpent pendant les premiers mois de grossesse pourrait être à l’origine d’un strabisme chez l’enfant à naître.
3 - Le contact du liquide amniotique avec les yeux du nouveau-né pourrait provoquer un strabisme


4 - Les mauvaises postures de la femme enceinte, comme par exemple décubitus dorsal prolongé pourrait entraîner une loucherie.
5 - L’influence de la lune : un enfant naissant le jour de la pleine lune peut loucher.
Les rayons de la pleine lune éblouissant le nouveauné pourraient créer une déviation des axes visuels.
LE TRAITEMENT DE LA LOUCHERIE
Les Akyés utilisent généralement pour soigner les maux oculaires, des feuilles ramollies au feu, froissées et pressées, dont l’extrait obtenu est employé en instillations oculaires.
Pour ce qui est de la loucherie, les Akyés considèrent cette maladie comme une expression de la volonté divine et ils ne lui appliquent aucun traitement. On vit et l’on meurt avec sa loucherie. Cette conception surnaturelle de cette affection se trouve être un frein pour les populations à soigner objectivement cette maladie.
Ces considérations nous ont amené à faire un certain nombre de recommandations en vue de pallier ces insuffisances pour le bien-être des populations afin que la loucherie ne soit plus vécue comme une fatalité.
RECOMMANDATIONS
A - Au niveau du Ministère de la santé
- Doter l’hôpital d’Adzopé, chef-lieu de département, d’un service d’ophtalmologi e. Les malades sont en effet obligés de faire le trajet jusqu’à Abidjan pour leurs soins et cela facilite la sollicitation des services des guérisseurs et féticheurs des villages.
- Organiser avec le concours des enseignants des écoles des villages des séances d’information et de sensibilisation sur la loucherie.
B - Concernant les personnes atteintes de loucherie
Accepter la chirurgie de la loucherie si cela s’avère nécessaire et savoir qu’un seul temps opératoire peut ne pas être suffisant pour redresser les axes visuels.
C - Concernant les parents des enfants atteints de loucherie
Emmener les enfants à la consultation d’ophtalmol ogie dès l’apparition de la loucherie, la prise en ch a rge précoce du strabisme étant fondamental pour le succès du traitement
CONCLUSION
Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une maîtrise de sociologie médicale à l’université d’Abidjan ; au département d’ethno-sociologie, il a permis d’appréhender la représentation de la loucherie dans le groupe Akyé et de mettre en évidence le poids de la culture de ces sociétés et leurs conséquences en matière de santé.
BIBLIOGRAPHIE
1 - ABE N.
Médecine africaine et medecine officielle en Côte d’Ivoire. Voies et moyens de collaboration. Mémoire de DEA . IES Abidjan. Juin 1986.
2 - GARNIER K.
G u é ri s s e u rs et médecine en pays Akyé (Côte d’Ivo i re). Etude d’une catégorie de thérapeutes et leurs techniques.
Mémoire Paris 1977.
3 - GARNIER R.
Soins du corps et « âmes «. L’ordre d’une existence en pays Attié. Tour : l’auteur, 1990, Tome 2.
4 - PAULME D.
Première approche des Attié (Côte d’Ivoire). Cahiers d’études africaines, 1966, vol. 21.
5 - RETEL G.
Etiologie et perception de la maladie dans les sociétés modernes et traditionnelles. Edition l’Harmattan, Paris 1977.
6 - DIAN BONI
« Le pays Akyé « (Côte d’Ivoire). Etude de l’économie agricole. Annales de l’université d’Abidjan, 1970, Série G, Tome 2, Fascicule 1.

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